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Dès l’aube, la bataille était perdue…

 

Les camions équipés d'un système d'artillerie, dits CAESAr, opérant de nuit dans le cadre de l'opération Chammal. Ici, ce sont les hommes du 93ème RAM le 14 août 2017 (Source : Ministère des Armées)

Les camions équipés d’un système d’artillerie, dits CAESAr, opérant de nuit dans le cadre de l’opération Chammal. Ici, ce sont les hommes du 93ème RAM le 14 août 2017 (Source : Ministère des Armées)


 

Imaginez une nuit noire, vous vous trouvez dans votre camp retranché aux abords d’une ville, l’ennemi qui veut vous voir mort va bientôt débuter l’encerclement mais il est encore à plus de 50km. Rien à signaler pour l’instant, après votre tour de garde, vous vous endormez tranquillement.

 

Boom ! Boom ! Boom ! Un sifflement terrible, suivi d’un choc qui vous propulse à quelques mètres, voilà votre réveil ! Face à vous, une position de mortier, toute entière il y a quelques minutes vient de disparaître et avec elle, trois de vos camarades. Et cela va durer deux heures, vos fortifications qui devaient vous aider à contenir l’assaut prochain sont presque toutes réduites en poussière.

 

Les tirs ont cessé, vous pouvez mettre les blessés à l’abri avant de prendre votre poste parmi ceux qui tiennent encore debout. De longues minutes passent, rien, le stress redescend, vous êtes prêt au combat.

 
Boom ! Boom ! Boom ! Maintenant, vous êtes mort. Bientôt, quand l’artillerie se sera tue pour de bon, l’ennemi se chargera de vos camarades qui ne pourront plus se cacher. Dès l’aube, cette bataille stratégique était perdue.
 

C’est à peu près l’enfer vécu par les hommes de l’État Islamique il y a quelques mois lorsque les artilleurs de la Task Force Wagram ont lancé un raid de nuit historique sous le commandement du Lieutenant-Colonel Frédéric Jordan. Officier d’artillerie en poste au 40° RA depuis juillet 2016 et fraîchement revenu d’Irak, Jordan nous a fait l’honneur de présenter son RETEX à la presse.

 

Les militaires français sont presque toujours surprenants. Quand on attend un homme qui a opéré dans le désert irakien, harcelant et terrorisant Daesh, on ne peut s’empêcher d’imaginer un Rambo. Pourtant, on se retrouve face à un homme qui nous ressemble, pas plus grand, pas plus menaçant. Il nous ressemble, à la différence près qu’il dispose d’un mental d’acier par lequel il peut mener ses hommes jusqu’au bout de leur mission, et c’est exactement ce qui force le respect.

 

Jordan et ses artilleurs ont tiré très exactement 1448 obus sur les positions de Daesh entre octobre 2017 et février 2018. Au cours des 91 missions de feu réalisées, les CAESAr ont été éprouvés, et ils ont satisfait. Rusticité, fiabilité, cadence, portée, sans perte de précision (d’après les informations données lors du RETEX, la précision des tirs fut quasi-parfaite, seulement 10% des situations aurait nécessité une correction du tir), les CAESAr auraient même impressionné ! Les Américains qui assuraient la protection élargie des unités de CAESAr ont vanté le professionnalisme des artilleurs français, selon les mots du Lieutenant-Colonel (outre l’efficacité du canon, c’est l’ensemble de la chaine d’artillerie qui a fait ses preuves : transmission des données, calcul des éléments de tir etc), et tous ceux qui ont pu observer les tirs par drone ont été impressionnés des effets du système français. La Task Force (6 CAESAr et 150 hommes au total) a même reçu de nombreuses visites d’officiers irakiens qui avaient déjà l’expérience de l’armement français puisqu’ils en étaient partiellement équipés lors de la difficile guerre Iran-Irak. Notons en tout cas qu’impressionner l’allié d’outre-Atlantique est chose rare mais, il faut imaginer dix-huit coups tirés automatiquement en l’espace de quelques minutes, quand les artilleurs américains font partir six obus qui plus est, rechargés à la main.

 

Outre une portée maximale de 38km (sur toute la durée du mandat de Jordan, beaucoup de tirs atteignaient les 34km mais la plupart du temps les CAESAr étaient situés entre 15 et 25km de leurs cibles), qui surpasse les capacités américaines dans le domaine des tirs indirects de l’artillerie (le Paladin américain, bien qu’efficace, dépasse rarement les 24km de portée) et qui donne donc au CAESAr cette importance stratégique, c’est sa capacité d’adaptation qui a satisfait sur le théâtre irakien. Dans ce désert de sable, où la météo passe de très chaud la journée à très froid la nuit, où les tempêtes et les averses orageuses transforment le paysage, les systèmes du CAESAr n’ont jamais lâché.

 

La mission de la Task Force sous le commandement de Jordan consistait à appuyer les forces de sécurité irakiennes dans leur large mouvement de reprise des territoires à l’État Islamique. Essentiel aux manoeuvres des forces, le CAESAr a permis de compléter l’artillerie de la coalition (classique ou lance-roquette multiple), celle des forces irakiennes, ainsi que les bombardements de l’aviation. Durant les deux premiers mois du mandat, les forces étaient engagées dans une manoeuvre cinétique pour reprendre la vallée de l’Euphrate. Ici, le CAESAr a pu démontrer son efficacité : appui des unités, harcèlement, neutralisation des mortiers, suppression des positions etc. Surtout, il ne faut pas croire que le métier des artilleurs se résume à réduire l’ennemi en petit morceaux ! Sur les 91 missions de tir, bien que 45 furent des missions de tirs explosifs, 41 étaient des missions de tirs éclairants qui, en plus d’avoir un effet éclairant, comme leur nom l’indique, avaient un impact important sur le mental des troupes irakiennes au contact de l’ennemi : nous sommes juste derrière vous.

 

Lorsque les forces de l’État islamique ont été repoussées loin des premières villes libérées, elles ont logiquement opté pour le mode opératoire où elles sont les plus dangereuses : la contre-insurrection. Ici aussi, selon Jordan, le CAESAr s’est adapté. Pour le Lieutenant-Colonel, si le CAESAr peut arrêter une colonne de chars, ses effets sont propres à la contre-insurrection et ce, pour deux raisons. Premièrement, dans un environnement qui se prête bien à la dissimulation, le CAESAr sert à débusquer l’ennemi : le canon est prêt au tir en un temps record (la rapidité d’engagement est une plus-value indéniable au sein de la coalition internationale selon Jourdan), un drone de reconnaissance est lancé, les hommes effectuent le ciblage, attendent l’autorisation, puis font partir les obus tout en restant à quelques dizaines de kilomètres des potentielles attaques suicides ennemies. Si il faut se déplacer d’urgence, les hommes retournent à la cabine du camion et se retirent sans désordre. Deuxièmement, le CAESAr serait une « arme de dissuasion conventionnelle » grâce à sa « brutalité ». Plus que de simples outils pour débusquer, les tirs rapides d’obus explosifs de 155mm rappellent à l’ennemi à quoi il pourrait avoir à faire si jamais il tentait une action périlleuse. Quelques coups de canons suffiraient alors à lui faire faire demi-tour ou à le « dissuader » de sortir de ses positions.

 

À la fin du RETEX, lorsqu’un journaliste français demanda à Jordan si les artilleurs français entretenaient un « tableau de chasse », celui-ci répondit par la négative « On sait qui a tiré, sur quelle cible, avec quoi, et à quel moment, mais non, nous ne tenons pas tableau de chasse, ils ont beau être ce qu’ils sont, des hommes de Daesh, ils restent nos ennemis et nous respectons nos ennemis. » Quoiqu’il en soit, l’artillerie est bel et bien de retour, et les CAESAr restent en Irak.

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