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La cuisine des munitions

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par Christina Mackenzie
 

Si vous étiez un cerf ou un sanglier vous pourriez errer dans un bois dense mais bien entretenu quelque part au centre de la France et grignoter l’herbe qui pousse sur d’étranges monticules plutôt abrupts parsemés ici et là.

Mais en temps qu’être humain vous n‘aurez pas le droit d’y errer seul et vous aurez à vous soumettre à de nombreuses et strictes consignes de sécurité, ayant pris soin d’éteindre tout appareil électronique, car ceci n’est pas un bois ordinaire. C’est sur ce site classé Seveso 2, à La Chapelle Saint Ursin, que Nexter Munitions fabrique des munitions allant du calibre 20mm à l’obus d’artillerie longue portée de 155mm LU211 et où l’entreprise produit également les sections explosives des torpilles et missiles pour MBDA et le groupe naval français, DCNS.

Cuve de coulage sur le site de Nexter à La Chapelle Sainte Ursin

Cuve de coulage sur le site de Nexter à La Chapelle Sainte Ursin

Alors que nous étions guidés sur le site ce matin (16 décembre), nous avons été frappé par certaines choses, à commencer par une odeur sucrée mais âcre dans certains ateliers de production (provenant du TNT), et de l’explosif brut livré sous la forme de flocons ou d’une mixture (apparemment du Combo B) qui ressemblait tout à fait a une pâte à crumble prête à être parsemée sur des pommes et placée au four ! Puis les ateliers eux-mêmes, avec leurs trois murs en béton armé épais de 70 cm et un quatrième très mince qui fait face aux drôles de monticules de sorte qu‘en cas d’explosion à l’intérieur, le souffle prendra le chemin le plus facile à travers ce mur et sera ensuite dirigé ver le haut par le monticule.

Si vous pensiez que fabriquer une munition consistait simplement à fourrer de l’explosif dans une douille, alors vous vous trompez. Didier Mery, directeur technique de la production, nous a raconté comment le coulage des obus est réalisé, précisant qu’il y a trois lignes de production dans la section pyrotechnique. Une équipe de 25 opérateurs gère chaque ligne et produit entre 35 et 40 000 obus par an. Chacun, sans faille, passe aux rayons X à la fin de la ligne de production et chaque image est ensuite scrutée par une personne pour s’assurer qu’il n’y a aucune fissure ou bulle d’air. Selon Mery, chaque obus subit une pression équivalente à 18 000 G lorsqu’il est tiré, « et c’est ça qui le rend si particulier ».

Il y a 38 étapes différentes pour fabriquer une douille d’obus de moyen calibre, de la baguette métallique livrée à l’usine qu’il faut façonner et étirer, enduire de savon et d’autres produits, vérifier et re-vérifier chaque étape, avant que le produit subisse huit traitements de surface différents. Tout ceci pour s’assurer que la forme de la douille soit très précise, en particulier pour les munitions destinées a être tirées par l’avion de chasse Rafale ou l’hélicoptère de combat Tigre, car dans le cas contraire elle pourrait se retrouver dans le moteur de l’aéronef et alors « le pilote n’aura plus qu’une option : son parachute, » remarquait un des responsables de la ligne de production. L’usine est en plein changement de méthode concernant ce procé, se mouvant d’une fabrication traditionnelle vers une méthode lean qui devrait être complétée d’ici mi-2016. En attendant, les deux systèmes fonctionnent de concert et la différence saute aux yeux. Dans la section lean les machines sont toutes neuves et bien protégées, il y a des codes couleurs partout, un marquage clair au sol en marbre et le silence règne. Du côté traditionnel, d’étranges potions bouillonnent dans des machines toutes rouillées dans une atmosphère bruyante et étouffante. La nouvelle machine de traitement de surfaces, d’une valeur de 2 millions d’euros, longue de 50 m et entièrement automatique, devrait pouvoir traiter un million de douilles par an.

Le site contient aussi la plus grande unité de pression isostatique d’Europe, curieusement fabriquée avec un ancien canon de navire. La matière explosive est moulée à l’intérieur de moules en silicone (comme ceux que vous avez peut-être dans votre cuisine) puis placée dans l’unité qui se trouve 6 m sous terre et remplie d’huile. L’ensemble est ensuite recouvert d’une dalle pesant 33 tonnes afin de contenir tout accident et tout le monde sort. L’huile, incompressible, est alors mise sous pression grâce à des pompes hydrauliques écrasant et compactant l’explosif en appliquant une pression égale en tout point du moule. L’idée ? L’explosion sera bien plus puissante lorsque l’obus détonera.

Je me suis quand même demandé si les employés ont bien conscience de la finalité de leur travail, ou alors sont-ils si concentrés sur le microcosme des robots et machines très sophistiqués qu’ils en oublient à quoi sert le produit fini ?

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