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FOB Interview : Général Desportes sur la LPM (1ère partie)

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Après Saint Cyr, Vincent Desportes choisit l’arme blindée cavalerie. Diplômé de l’US Army War College, il prend la tête du  Centre de doctrine et d’emploi des forces (CDEF) jusqu’en 2008, date à laquelle il devient directeur du Collège interarmées de défense (CID). Enseignant la stratégie à HEC, il est aujourd’hui professeur associé à Sciences Po Paris et consultant pour plusieurs média télévisuels.

 

Mon général, quel regard portez-vous au projet de Loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014-2019 en cours de discussions devant l’Assemblée Nationale?

Je le caractériserais en trois termes: Camouflage, enfumage, décrochage.

Camouflage car on ne peut qu’être surpris de la façon similaire dont ont été présentés les deux documents, presque en catimini : Le Livre Blanc, attendu de très longue date, est rendu public au cœur d’un grand pont du printemps, le 29 avril, non sans qu’ait été organisée au même moment à l’Elysée une grande manifestation en faveur des entreprises qui réunit le gouvernement, attire la presse … et fera l’ouverture des journaux télévisés. Même scénario pour la LPM : elle est rendue publique le vendredi 2 août, au plus creux de l’été français, alors même que le monde politique et la presse spécialisée a déjà quitté Paris.

Enfumage ensuite, puisque l’on s’acharne à faire croire que le budget de la défense a été préservé. Ce qui est faux. Je ne doute pas que notre Ministre et nos élus de la majorité soient de bonne foi quand ils disent s’être battus bec et ongle pour préserver la France du pire. Mais il n’en reste pas moins, que, de cet exercice, le budget ressort réduit et notre défense dégradée. Notre budget va se trouver amputé de 1 à 3 milliards par an.

 

Vous parlez d’une amputation de un à trois milliards d’euros par an sur le budget défense ?

Vous connaissez l’arithmétique: La stabilité puis la croissance en volume ne sont prévues qu’à partir de 2017, c’est-à-dire à la charge de la prochaine administration ! De 2014 à 2016, maintenu en valeur, le budget perdra mathématiquement jusqu’à 600 millions en euros constant. Se rajoute le fait que bon nombre de dépenses de fonctionnement subissent, en ce qui les concerne, l’inflation de plein fouet. A ces 600 millions, il faut donc rajouter au moins 400 millions qu’il faudra imputer aux investissements.

A cette baisse certaine de 1 milliard, se rajoute le pari sur les ressources exceptionnelles : même sans procès d’intention, il est fort peu probable que les 6 milliards soient au rendez-vous. Il est donc raisonnable de provisionner une chute de 500 à 800 millions par an !

 

Il y a -t- il un risque sur le volet « équipements »?

Tout d’abord le pari sur la vente à l’export des 40 Rafales dont l’échec peut se traduire par impacter le budget de 700 millions par an. Ramenez le aux chiffres précédemment évoqués, nous nous trouvons à un manque de 2,5 à 3 milliards par an. D’autant plus que se rajoutent des incertitudes et paris complémentaires qui fragilisent la trajectoire financière théorique : des renégociations de contrats d’équipement (dont jusqu’à 30 A400M, 20 hélicoptères Tigre etc …) qui sont loin d’être abouties et qui se traduiront immanquablement par des pénalités.

 

Et que penser du budget OPEX (opérations extérieures) ?

Les dotations budgétaires annuelles pour les surcoûts OPEX sont en réduction très sensible (450 millions d’euros contre 630 dans les budgets précédents).  Respecte-t-on bien ici le principe de « sincérité budgétaire » quand les surcoûts OPEX sont restés en moyenne à 961 millions par an sur la période 2009-2012 et qu’ils ne sont jamais descendus depuis dix ans en dessous de 528 millions ? Nous sommes donc très en deçà de la réalité constatée sur le temps long.

 

D’autant plus qu’entre ce qui est voté et ce qui exécuté, il y a parfois de grandes différences…

Comme vous dites ! Au-delà des grandes déclarations sur un effort de défense « sanctuarisé », ce projet de loi ne préjuge en rien de l’exécution budgétaire sur laquelle Bercy, en dehors même de tout regain de crise économique, exercera, comme à son habitude, ses méthodes traditionnelles de « guérilla budgétaire ». On le sait, aucune des lois  de programmation militaires n’a été rigoureusement exécutée. On peut même affirmer qu’il manquait en moyenne pour chacune d’elles, une à deux années de financement en crédits de paiement, du moins pour les 10 premières lois qui ne couvraient que les crédits d’investissements. Un récent rapport d’information parlementaire signalait les déficits accusés par deux des dernières lois, 1997-2002 et 2003-2008 sur le seul poste des programmes d’équipements, soit respectivement, 13 milliards d’euros et 11 milliards d’euros…

 

Soit, mais est-ce que un ou deux milliards font-ils vraiment la différence quand on parle d’un budget annuel de plus de 30 milliards ?

Et bien si, détrompez-vous! Parce que, vous le savez, cette réduction ne porte pas sur la somme de 31,4 milliards. Les déflations en effectif correspondant d’abord, sur plusieurs années, à un surcoût, cette réduction budgétaire ne peut porter que sur la partie « équipement » des 16 milliards d’investissement, soit sur 10 milliards. Et encore, on ne touche pas au nucléaire, donc uniquement sur la partie « conventionnelle » de cette somme, soit 6 à 7 milliards. Ce qui veut dire que la réduction sur le conventionnel pourrait aller jusqu’à 40%. C’est considérable !

Et les conséquences sont également considérables. Avec une trajectoire financière tenue, la LPM acte déjà d’une diminution moyenne de 25% de nos capacités conventionnelles, mais elle porte en outre en elle le risque grave d’une presque certaine dégradation complémentaire de nos forces, alors même qu’un récent rapport du Sénat (juillet 2012) décrivait déjà le format de nos forces comme « juste insuffisant ». Comme l’écrit la Cour des comptes dans sa note d’exécution du budget 2011 : « L’équipement des forces sert de variable d’ajustement au bouclage du budget du ministère ».

Regardons la situation en face : non, le pire n’a pas été évité car il y a, au cœur de la LPM, une bombe à retardement, mèche déjà allumée, dont il y a bien peu de chance que nous n’assistions pas à l’explosion !

 

On l’a compris, la sanctuarisation du budget de la défense est donc bien un enfumage! Vous évoquiez le décrochage de la France, qu’en est-il?

Le premier constat porte sur les effectifs. Le bilan, vous le connaissez. L’effort demandé aux armées est extrême, avec une perte de 80.000 emplois entre 2009 et 2019. En 2014, 8.000 emplois supprimés dans les armées sur les 13.000 supprimés « dans les secteurs qui ne correspondent pas aux missions prioritaires » (selon les termes de la Loi de finances initiale), au premier rang desquels on trouve la Défense, qui « paye » 60% du total alors qu’elle ne représente que 10% des emplois publics de l’Etat. En 10 ans, les armées auront perdu un quart de leurs effectifs, ce qui fait de ce ministère « sanctuarisé » le plus pénalisé des ministères ! J’ajouterai que ces déflations et les réformes permanentes qu’elles entraînent, essentiellement guidées par des impératifs budgétaires, sont menées à un rythme et une vitesse qui ne permet pas au système militaire de se réorganiser, ni de modifier ses pratiques. In fine, ces mesures sont par elles-mêmes un facteur de réduction de l’efficacité des armées ;

Le deuxième constat, c’est que la LPM va encore aggraver les trois défauts majeurs de notre défense militaire.

 

Quels sont ces trois défauts ?

Tout d’abord, le manque d’épaisseur stratégique : il se caractérise d’une part par notre incapacité à conduire dans la durée des opérations conséquentes et, d’autre part, par notre incapacité à nous engager de manière significative sur plusieurs théâtres d’opération à la fois.

Ensuite, les « Discontinuités capacitaires » : je parle ici du manque à la fois de certaines capacités-clefs (Transport stratégique et opératif, ravitaillement en vol, armes SEAD, Renseignement) et des impasses faites sur les programmes dits de « cohérence capacitaire » ou « AOA », Autres opérations d’armement.

Enfin, le Déficit d’autonomie stratégique : en creux, ce déficit est clair puisque le Livre Blanc répète de nombreuses fois qu’il est fondamental de restaurer cette autonomie. Dans les faits, chacun sait que la France n’est capable de mener dans la durée que les opérations avalisées par les Etats-Unis dont elle attend justement les capacités que j’ai citées et qui lui font défaut.

Manque d’épaisseur stratégique, discontinuités capacitaires, déficit d’autonomie stratégique.  Ces trois faiblesses sont accentuées par la LPM.

 

La suite, demain sur FOB

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