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Suite à la formation de son nouveau gouvernement, issu de la coalition eurosceptique Ligue du Nord – Mouvement 5 étoiles, l’Italie inquiète jusque dans la sphère militaire. L’Italie va-t-elle se replier sur elle-même, contre-carrant les plans de Paris et Berlin pour une défense commune renforcée et abandonnant sa participation aux missions internationales de stabilisation ?
 

Un soldat de l'armée italienne et un membre du Service antiterroriste irakien se serrent la main dans une école primaire du village de Babinet, en Irak, le 14 novembre 2017. Si le nouveau gouvernement italien applique son programme de repli sur l'intérêt national, la présence de contingents italiens à l'étranger sera revue à la baisse (Photo de l'armée américaine par le sergent Tracy McKithern)

Un soldat de l’armée italienne et un membre du Service antiterroriste irakien se serrent la main dans une école primaire du village de Babinet, en Irak, le 14 novembre 2017. Si le nouveau gouvernement italien applique son programme de repli sur l’intérêt national, la présence de contingents italiens à l’étranger sera revue à la baisse (Photo de l’armée américaine par le sergent Tracy McKithern)


 

Ancien chef d’état-major, le général Vincenzo Camporini est intervenu dans la presse italienne en fin de semaine pour revenir sur les inquiétudes de certains quant à l’avenir de l’Italie dans la défense européenne et en conséquence, sur la scène internationale. Si il fait probablement partie du groupe des inquiets, Camporini sait qu’un programme politique et son application, sont deux choses totalement différentes. Bien que les nouveaux responsables de la politique italienne doivent en bonne partie leur élection à leur opposition au « système » et donc à Bruxelles, il est difficile de croire que la préférence nationale soit bénéfique pour l’Italie si elle devait signifier une relation conflictuelle avec ses voisins – en fait ses alliés avec qui elle coopère depuis plus d’un demi-siècle.

 

 

Le général pense qu’en premier lieu, qu’il veuille s’opposer ou non à la politique de l’Union Européenne – l’establishment , le gouvernement italien devra dialoguer avec Paris et Berlin : « Ou l’Italie participera activement à ce dialogue, ou il y aura une marginalisation totale qui ne nous permettra pas de défendre nos intérêts nationaux ». Effectivement, Rome s’est engagée avec d’autres États-membres de l’UE à assurer la stabilité du Sahel. « Nous avons besoin d’une attitude proactive face aux problèmes de sécurité mondiale. » martèle le général italien. Surtout, si elle devait s’opposer aux plans de Paris et Berlin, qu’on y voit la main de Bruxelles ou non, son industrie de défense serait perdante à coup sûr : si les industries italiennes ne pouvaient bénéficier des initiatives de l’UE pour les programmes de Défense, les industries stratégiques pour le pays, telles que Leonardo ou Fincantieri seraient désavantagées face à leurs homologues dans le reste de l’UE.

 

En deuxième lieu, la priorité sera de poursuivre la réforme des forces armées sur le modèle du Livre blanc sur la défense et la sécurité internationale, un « document qui reste solide tant au niveau conceptuel que pour les propositions qu’il contient » selon Camporini. Cette réforme doit rompre avec une Défense pour laquelle on dépenserait peu et mal : « Peu, parce que le pourcentage du PIB sur les dépenses de défense (1,12%) est l’un des plus bas du monde développé, sinon le plus bas. Mauvais, pour un certain nombre de raisons, notamment le fait que la part allouée aux salaires est excessive, en particulier pour les activités de maintenance et de formation. Ainsi, il est surprenant de constater que le premier point du programme de la Défense concerne le regroupement familial. Les besoins du personnel sont fondamentaux, car c’est l’arme la plus importante. Cependant, il est clair que la Défense doit s’organiser pour avoir toutes les capacités opérationnelles tout en protégeant les besoins du personnel, et non l’inverse. Le point clé à retenir est que l’équipement est utilisé pour rendre l’instrument militaire apte à être utilisé dans les diverses circonstances opérationnelles dans lesquelles il fonctionnera. Le ton qui traverse toute la section consacrée à la défense dans le contrat du gouvernement, cependant, nous dit le contraire. Il nous dit qu’il n’y a pas de volonté de développer des capacités opérationnelles pouvant être utilisées dans le cadre géostratégique mondial actuel. Devons-nous faire ces choses parce que nous en avons besoin ou pour donner des emplois? Si la raison en est la deuxième, nous sommes complètement à côté. »

 

En fait, dans le programme dit populiste du M5S, on retrouve une réthorique pour séduire l’électorat « ouvrier » ou à la recherche d’emploi : l’Italie n’aurait pas vocation à augmenter les dépenses militaires pour se doter d’une armée puissante qu’on enverrait opérer à l’étranger, mais plutôt pour que les industriels d’armement produisent d’avantage de systèmes d’armes à destination de l’armée, ce qui devrait logiquement mener à une hausse des embauches dans le secteur. Finalement, Camporini nous explique que les bases posées par le Livre blanc pour justifier l’urgence d’une augmentation des dépenses militaires, ont clairement été oubliées par les rédacteurs du nouveau programme pour la Défense (le contrat de gouvernement passé entre la Ligue et M5S).

 

Alors que le Livre blanc défendu par l’ex ministre de la Défense Pinotti pendant quatre ans établissait une situation sécuritaire complexe et menaçante qui exigeait dès lors un nouveau rôle à jouer pour l’Italie, le contrat prévoit de  « réévaluer » la présence dans les missions internationales. Pour Camporini, si la réévaluation venait à annuler la posture extérieure, ce serait « un désastre politique et militaire » tant « la participation aux missions internationales est un atout fondamental de la politique étrangère. » Pour ceux qui ne le sauraient pas, sur le volet « affaires internationales » du contrat de gouvernement, Salvini et Di Maio se sont accordés sur l’idée d’un partenariat avec la Russie de Poutine (une première version du contrat soutenant que le nouveau gouvernement italien lèverait totalement les sanctions contre la Russie avait scandalisé, Salvini et Di Maio faisant alors marche arrière rappelant tout de même que Moscou reste un « partenaire stratégique », qui ne constitue pas « une menace militaire » mais un « partenaire » potentiel). Et bien qu’ils se sont affichés en faveur de l’alliance de l’OTAN et de la relation avec l’allié américain, il n’est pas prévu que l’Italie s’aligne sur la politique extérieure de Bruxelles. Pour Camporini, si cette approche « russophile » et eurosceptique était effectivement poursuivie dans les faits « cela créerait un problème politique (…) Le comportement de la Russie dans la région du Donbass, ainsi que l’occupation de la Crimée, sont inacceptables pour l’écrasante majorité des interlocuteurs internationaux et rendent impossible tout partenariat avec Moscou. »

 

Bref, selon Camporini il reste à savoir qui de la Ligue ou du M5S prendra les rênes du ministère de la Défense et quel poids celui-ci aura sur l’action du gouvernement. Par exemple, sur le point de vue industriel : « la Ligue a consacré une partie de son programme à soutenir l’industrie de défense, ce qui n’est pas le cas du mouvement 5 étoiles. » Mais que ce soit l’un ou l’autre, le contrat ne comporte aucune ligne sur la Défense européenne, alors que pour le général italien l’Italie a deux besoins : « Le premier est d’avoir des compétences crédibles; et elles ne le sont que si elles sont partagées avec les autres membres de l’Union, notamment avec les plus importants, la France et l’Allemagne. Ensuite, il y a l’aspect des programmes en coopération. Être partie active du Fonds européen de défense , bien que limité, est une garantie que notre base technologique ne sera pas érodée. » Sur l’application de nouveaux principes de politique internationale, Camporini pense que son pays tendrait logiquement à réduire le nombre de soldats déployés à l’étranger : puisque le pays est convaincu de la validité du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, la « présence de contingents militaires italiens dans les missions internationales distantes de l’intérêt national » devra être « révisée à la baisse ». L’intérêt national des opérations en Syrie et en Irak sera alors probablement le premier à être débattu par le nouveau gouvernement, suivi de la présence italienne au Liban.

 
À moins qu’elles décident de le remplacer, les nouvelles forces politiques de l’Italie devront composer avec un chef d’état-major proche des idées de Pinotti, le général Claudio Graziano. Intervenant le 25 mai à une conférence consacrée au «rôle de la Défense dans le contexte sécuritaire actuel», il a appuyé sur l’importance des organisations internationales, des relations vertueuses entre l’OTAN et l’Union européenne et de la coopération européenne. Sur ce dernier point, Graziano a souligné que la dernière stratégie pour l’Italie établie en 2016 découle d’une vision axée sur le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune agissant comme une influence décisive sur le scénario international, tout en restant en contact étroit et en coopération avec l’OTAN. Les journalistes transalpins ont rapporté cette phrase qui tranche avec le programme de la coalition italienne: « Si dans les pays tourmentés par les conflits et l’instabilité, il y a dans l’avenir une possibilité de paix, de liberté et de démocratie, nous le devons avant tout à tous les hommes et à toutes les femmes des forces armées, qui sont une source de fierté pour notre pays et à l’international« .
 
Pour le moment les discussions sont en cours pour placer Elisabetta Trenta à la tête du Ministère de la Défense. Le choix est loin d’être abouti, Salvini et les partisans de la Ligue du Nord étant sceptiques à l’idée de laisser un tel ministère au M5S. À suivre..

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