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"Ne nous privons pas d’un vecteur de relance plus réactif que les autres !"

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Relance. Le mot s’est d’emblée retrouvé au coeur des auditions et tables rondes de la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale. Entre deux rendez-vous parlementaires, sa présidente, la députée Françoise Dumas, plaide pour un maintien du cap budgétaire des Armées nécessaire au rebond de l’industrie de défense.

Après plus de deux mois de crise et une première série d’auditions, l’inquiétude est-elle désormais de mise au sein de la commission de la Défense nationale vis-à-vis du budget des armées et de l’impact économique sur la BITD française ?

La loi de programmation militaire 2019-2025 que nous avons votée, avec le soutien d’une large part des groupes politiques, définit un cadre budgétaire clair pour les 5 prochaines années. Elle fixe le cap d’une remontée en puissance de nos armées, indispensable pour leur redonner l’épaisseur organique nécessaire et assurer la sécurité de notre pays. C’est donc dans ce cadre que nous nous inscrivons et la Commission de la Défense y sera particulièrement vigilante. Lors de ses auditions, Florence Parly donne toutes les garanties possibles et veille, à ce que le budget de la défense soit exécuté. Je rejoins la position exprimée par le CEMA qui a estimé qu’il serait “paradoxal” que le gouvernement décide de diminuer les moyens de nos armées qui sont l’ “instrument principal de la résilience de la nation”. Elles sont même le dernier des remparts face à toutes les formes de menaces, sur tous les théâtres.

Les commissaires à la défense, de la majorité comme de l’opposition, saluent unanimement la compétence et l’engagement dont les militaires font preuve dans l’opération Résilience. Chacun s’accorde à reconnaître que l’effort budgétaire de la Nation doit être maintenu au plus haut niveau, même plus que jamais.

En tant que relais majeur entre les territoires et le Gouvernement, avez-vous déjà pu personnellement prendre le pouls auprès d’industriels installés dans votre région/département ? Si oui, lesquels et quel est leur premier ressenti ?

Oui, les difficultés sont nombreuses et affectent l’ensemble de la chaîne de production. Les entreprises de Défense qui maillent notre territoire national participent de la préservation de notre savoir-faire industriel et irriguent économiquement et socialement tous les territoires, y compris dans les régions que les autres industries ont quittées. Leur préservation est indispensable pour amorcer très rapidement le plan de relance économique et social.

En tant que Présidente de la commission de la Défense et des forces armées, j’ai mené une série d’entretiens depuis le début de la crise avec les principaux dirigeants des grandes entreprises de la Défense et je suis également attentive à la situation des PME. J’ai également demandé à mes collègues de me faire des remontées de terrain régulières des difficultés que pourraient rencontrer les régiments et les entreprises présents sur leurs territoires. 

À situation inédite, format inédit. Vous entamez un cycle d’auditions auprès d’acteurs clefs, accompagnées pour la première fois de tables rondes thématiques. Pourquoi un tel format ? Quelles seront les thématiques abordées et avec quels interlocuteurs ?

Le format n’est pas totalement inédit pour notre commission puisqu’il a déjà fait ses preuves lors du cycle d’auditions géopolitiques que nous avons mené fin 2019 et début 2020. J’ai souhaité depuis mon arrivée, modifier l’approche de nos auditions afin qu’elles soient à la fois plus interactives et plus informatives. Ce format permet en effet de confronter les points de vue et les approches. Nous avons reçu le mois dernier les Présidents des trois groupements industriels de Défense, le GIFAS, le GICAT et le GICAN. La semaine dernière, nous avons eu une table-ronde avec des acteurs de terrain du Grand Est et notamment l’installation de l’Élément militaire de réanimation à Mulhouse. 

Les résultats de ces entretiens alimenteront la mission d’information COVID guidée par Richard Ferrand. Est-il prévu parachever ce travail en commission par le lancement de missions d’informations plus ciblées, par exemple sur les moyens du SSA ou les conséquences pour la BITD ?

Le Président Ferrand a demandé qu’en parallèle des auditions conduites par la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Covid-19, puissent se tenir des auditions complémentaires, menées par les commissions permanentes. C’est tout le sens du travail que nous avons entrepris pour poursuivre notre mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. La commission produira une synthèse des auditions qu’elle a conduite dans ce cadre et qui viendra alimenter le rapport de la mission d’information.

Il est évident que cette crise rebat toutes les cartes et le programme de travail de la commission de la Défense nationale et des Forces armées est lui aussi amené à évoluer, notamment dans la perspective d’un bilan de la gestion de la crise, du déconfinement et du futur plan de relance. Je souhaite notamment que nous ayons une attention particulière sur la situation de la supply chain qui approvisionne les grandes entreprises et qui participe de notre autonomie stratégique. 
 
À quelques semaines d’un printemps d’évaluation axé sur la crise, faut-il craindre une réorientation défavorable d’une partie du budget des Armées, notamment concernant les investissements capacitaires ?

Le printemps de l’évaluation s’attache à évaluer l’exécution des crédits de l’exercice budgétaire précédent. La commission des finances choisit certaines thématiques, en liaison avec les commissions compétentes. Cela n’a rien à voir avec une loi de finances rectificative (LFR ou collectif budgétaire). Ce que j’observe, c’est que les LFR adoptées pour faire face à la crise sanitaire ne prévoient pas d’annulation de crédits d’équipement des armées.

Les conséquences de la crise nécessiteront un effort sur le long terme. L’actualisation de la LPM 2019-2025 prévue l’an prochain risque-t-elle de déboucher sur une contraction des crédits accordés à certains programmes ?

Je voudrais rappeler que la programmation est exprimée en euros courants, pas en points de PIB ; donc la baisse du PIB n’affecte pas la programmation ; seul change l’indicateur d’effort, qui pourra, ipso facto, dépasser 2% ; mais cela ne change rien à la programmation en valeur absolue. L’actualisation prévue « avant la fin de l’année 2021 » (selon l’article 7 de la LPM) « aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l’évolution des effectifs jusqu’en 2025 ». En quoi consiste cette trajectoire ? La LPM prévoit une augmentation du budget de la mission défense de 1,7 Md€ en 2021 et encore +1,7 Md€ en 2022. En revanche, pour les deux dernières années de programmation, l’actualisation aura pour objet de fixer un cap compte tenu des besoins de notre défense, sachant que des élections nationales interviendront en 2022, avant l’adoption du budget 2023.

C’est le rôle de la commission de la Défense que de s’assurer que la trajectoire financière sera respectée pour permettre aux armées de continuer à réaliser leurs missions et de conserver toutes les capacités nécessaires d’intervention. 

A contrario, peut-on espérer un plan de relance économique favorable à l’industrie de défense, à l’image de celui engagé au lendemain de la crise de 2008 ? 

Un plan de relance favorable à l’industrie de défense serait à mon sens souhaitable car l’industrie de défense est principalement nationale. Tout euro investi dans la défense se traduit immédiatement sur notre sol national par de la création d’emplois non délocalisables, de la valeur ajoutée et de l’innovation technologique. Ma préoccupation majeure réside dans la nécessité de préserver le nombre et le rythme des commandes définis par la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Les 22,5 Md€ par an d’investissement dans les équipements que prévoit en moyenne la LPM, auxquels s’ajoutent un milliard d’euros supplémentaires dans l’infrastructure, sont un formidable outil de maintien de la demande et donc des commandes aux industriels. L’industrie de défense peut prendre dès aujourd’hui des commandes supplémentaires, ne nous privons pas d’un vecteur de relance plus réactif que les autres ! D’autre part, nous ne devons pas traiter l’export comme un accessoire, car l’État y trouve un intérêt fort. Dans le contexte actuel de concurrence exacerbée par la crise, nous devons soutenir l’exportation, qui est indispensable à la pérennité de la BITD et dont les débouchés lui permettent d’amortir ses coûts et, de ce fait, de limiter ses prix pour son client français.

La crise économique touche certes tous les secteurs, mais de manière très inégale. Quel est l’argumentaire propre à justifier le maintien du budget de la défense ?

La résilience, c’est le maître-mot des Armées, leur habitus. Au cours de ces dernières semaines, elles ont pu démontrer qu’elles étaient taillées pour intervenir dans des circonstances exceptionnelles, partout sur le territoire national, en métropole et en Outre-mer, dans le monde, sur la mer et dans les airs. Le dispositif Morphée a permis de soulager les territoires les plus touchés par l’épidémie et de mieux répartir les patients sur l’ensemble des installations hospitalières de notre pays. La projection de notre flotte de Porte-Hélicoptères Amphibies (PHA) en Outre-mer a constitué un atout majeur pour apporter une aide logistique et sanitaire aux Antilles ou dans l’océan indien. La période que nous traversons met en lumière le rôle crucial des armées, dernier rempart pour aider les Français en cas de crise grave qui déstabilise tout le pays.

La dépense de défense contribue à protéger la France et les Français contre les menaces de toutes sortes et nous ne pouvons renoncer à notre sécurité dans un monde toujours dangereux et conflictuel. Cela suppose un effort budgétaire, même et surtout en temps de crise. Tout relâchement serait néfaste pour la protection de nos intérêts vitaux, pour notre sécurité et notre souveraineté.

De plus, l’industrie de défense est l’une des rares qui n’a pas été délocalisée à la faveur de la mondialisation. Les entreprises de la Base industrielle et technologique de Défense (BITD) sont très actives non seulement dans le domaine militaire mais aussi civil. Les exportations représentent à peu près la moitié de leur activité, ce qui génère des retombées économiques et sociales (emplois), et politiques et stratégiques (relations entre alliés, influence à long terme). Par leurs activités sur les marchés internationaux, les fleurons industriels français renforcent notre souveraineté et assurent notre autonomie stratégique en équilibrant les commandes nationales et les ventes internationales.

L’essentiel de cette dépense budgétaire est investi sur le territoire national auprès des grands industriels de défense français, dont les fournisseurs sont eux-mêmes issus du tissu des PME-ETI national. La dépense de défense s’analyse donc comme une avance de trésorerie remboursable à long terme. Entre temps, « l’argent » a créé de la valeur, fait tourner des usines, alimenté toute une chaîne logistique et de sous-traitance, maintenu l’emploi dans de nombreux territoires… Un euro investi dans la défense produit des effets positifs immédiats dans nos collectivités. A vrai dire, il y a peu d’investissement plus rentable.

Image : Auditions et tables rondes se multiplient au sein de la commission Défense de l’Assemblée nationale, avec pour objectif la sauvegarde de l’outil militaire et du maillage industriel de défense (Crédits: Assemblée nationale/Cabinet de F. Dumas)

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