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Vers un meilleur accompagnement de la mobilité

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« La mobilité des militaires est en moyenne deux fois plus élevée que celle des fonctionnaires civils », rappelait Francis Lamy, président du Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), mardi dernier face aux députés de la Commission de la défense nationale et des forces armées. Un constat certes évident, car inhérent à la fonction militaire, mais dont les effets néfastes ont tendance à se cristalliser. Fragilisation du lien familial et des réseaux de sociabilité, crise du logement, reconversion du conjoint, rupture du parcours scolaire des enfants… les enjeux liés à la mobilité géographique des soldats requièrent des axes d’amélioration, dont certains sont déjà mis en oeuvre. 
 

Derrière les belles images, un tissu socio-familial qui s'étiole au rythme des affectations (Crédit: Ministère des Armées)

Derrière les belles images, un tissu socio-familial qui s’étiole au rythme des affectations (Crédit: Ministère des Armées)


 
Crise du logement et reconversion du conjoint
 
C’est un fait: qu’il soit en opération ou en caserne, le militaire est, par nature, appelé à vivre à l’écart de ses proches. Et la tendance semble aller vers un plus grand éloignement. « Les militaires, plus que par le passé, ont tendance à résider loin de leur lieu d’affectation », explique Lamy. Par exemple, un tiers du personnel affecté à la BA 116 de Luxeuil-Saint Sauveur (Haute-Saône) réside à plus de 40 km de la base. « Et ce phénomène est observé dans bien des cas », constate-t-il. L’armée de Terre est d’autant plus touchée qu’elle conserve le maillage territorial le plus dense et le plus complexe, à l’exception bien évidemment de la Gendarmerie. Ainsi, les unités de l’armée de Terre sont aujourd’hui présentes dans 63 départements de la Métropole. Cet éloignement constant du militaire avec sa famille maintient un « célibat géographique », difficile à mesurer. Notion subjective s’il en est, ce célibat géographique toucherait de « 11 à 13% des couples ». Le HCECM relève ensuite l’ « importance de l’activité en dehors du lieu d’affectation », que sont les OPEX, OPINT, formation, entraînements. Ce sont 180 jours en moyenne en dehors de la garnison pour les Terriens. Liés à l’impératif de disponibilité des Armées, ces paramètres participent à la fragilisation des liens entre le militaire, sa famille et le territoire. « Il est un fait que cela distant le lien entre le militaire et sa résidence et que ça crée un rythme familial très particulier », explique Lamy.
 
Conséquence directe, la question du logement est, toutes composantes confondues, en tête des motifs d’insatisfaction du dernier Indicateur de mesure du moral (I2M) publié par le HCECM. De fait, la difficulté d’accès à la propriété et la tension locative forte dans les grandes aires urbaines, principalement Bordeaux, Toulon et Paris, complexifient l’accès au logement des militaires. Il s’agit par ailleurs de tenir compte de nouvelles contraintes sécuritaires. Les attentats de 2015, entre autres, ont favorisé l’apparition d’un sentiment d’insécurité parmi les militaires logés en dehors de leur base. Le mécontentement est tel que la Commission de la défense nationale installera prochainement une nouvelle mission d’information relative à la politique immobilière de l’Etat français.
 
De même, le sujet de la mobilité pèse lourd sur le parcours professionnel du conjoint. « Aujourd’hui, 72% des conjoints ont un emploi », mentionne Lamy, dont près de 60% dans le secteur privé. Hors, « quand on bouge tous les 3-4 ans, la carrière du conjoint en subit objectivement des conséquences ». D’où une trajectoire professionnelle fragilisée par un grand nombre de temps partiels et de CDD, avec à la clef un revenu moindre.
 
 
Des réponses globales
 
La mobilité géographique ne pourrait s’effacer sans mettre à bas les principes fondamentaux de la fonction militaire. Condamnée à s’adapter, celle-ci suppose à présent des réponses visibles et concrètes, tant au niveau gouvernemental que parmi les acteurs locaux. 
Ces questions sont donc tout naturellement devenues l’une des priorités du « plan Famille », présenté en octobre 2017. Ce dispositif ambitieux, réparti sur la période 2018-2022, envisage notamment de combattre les effets néfastes de la mobilité géographique par l’augmentation de l’offre immobilière, l’accompagnement familial et, « détail » essentiel, la refonte des préavis. Préalable inévitable de toute mutation, ce délai était encore inférieur à 3 mois dans 60% des cas. L’objectif du plan sera d’atteindre 85% de préavis de plus de cinq mois, « et on sent que ça commence à évoluer », se félicite le président du HCECM.
 

« Il ne s’agit pas uniquement d’augmenter de façon drastique le nombre de logements »

 
Le ministère des Armées dispose à l’heure actuelle d’un parc social utile d’environ 46 000 logements auxquels les militaires peuvent prétendre. Il poursuit par ailleurs une politique active du logement pour laquelle 154M€ ont été débloqués en 2018, dont la moitié consacrée aux investissements. Mais d’autres leviers existants doivent être exploités afin d’accroître l’étendue du parc social. À ce titre, l’Etablissement public des fonds de prévoyance militaire et aéronautique (EPFP) envisage la création de 3077 nouveau logements d’ici 2021. Cet organisme public est en outre qualifié pour délivrer des prêts immobiliers, susceptibles d’insuffler un effet de levier. Dans son précédent rapport, le HCECM avait également souligné l’intérêt qu’il y aurait à intégrer des mutuelles, qui, parce qu’elles ont besoin d’avoir des placements sur le long terme, pourraient « éventuellement avoir des actifs dans le logement des militaires ».
 
Le président du HCECM insiste: « il ne s’agit pas uniquement d’augmenter de façon drastique le nombre de logements » mais bien de résoudre « un certain nombre de points de tensions ». Il faut, premièrement, mieux prendre en compte le critère de la mobilité comme contrainte pour répartir plus équitablement les logements au sein du parc utile. De fait, il n’existe pour l’heure pas de « petit plus » permettant de favoriser les militaires alors même que certains ont des contraintes de mobilité sans équivalent. Il devient dès lors urgent de mieux combiner les indices sociaux et de mobilité afin de « valoriser l’état militaire et les contraintes dans les critères d’attribution de logements de défense ». Cette logique d’adaptation se doit d’être élargie aux processus d’indemnisation, dont l’indemnité pour charges militaires (ICM), suggère le HCECM. Celle-ci intègre un critère du lieu d’affectation qui « sur bien des points n’a pas pris en compte les évolutions des territoires » et demeure basé sur « un classement qui remonte pour partie à des arrêtés des années 1960 », regrette le président du HCECM. Lannemezan, par exemple, bénéficie toujours d’un taux spécial favorable alors que ce plateau des Hautes-Pyrénées n’accueille plus de militaires depuis mai 2000. Ce point devrait être revu lors de l’établissement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), afin que l’ICM intègre les contraintes liées aux mutations territoriales récentes, explique le Haut comité.
 
Reste à résoudre l’épineuse question de la reconversion des conjoints. Une partie des réponses devrait naturellement émaner de l’Agence de reconversion de la défense (ARD), qui accompagne déjà 2000 conjoints par an sur 20 000 en emploi touchés annuellement par la mobilité géographique. L’ARD nécessitera néanmoins un changement de dynamique afin de travailler plus en amont sur la prise en charge de conjoints qui doivent, en contrepartie, davantage recourir à ses services, précise Lamy. « Le gap entre l’existant et ce qui serait souhaitable est très important », explique le secrétaire du HCECM, le Contrôleur général des armées Olivier Maigne. La condition de réussite, c’est la construction d’« un maillage local qui va permettre, grâce à une multitude de partenariats, d’accompagner ces conjoints vers l’emploi », ajoute-t-il.
 
 
Miser sur l’échelon local
 
Paradoxalement, le phénomène de mobilité géographique est aussi peu médiatisé qu’il est susceptible de toucher tout un chacun. Qui, civil ou soldat, peut se targuer de n’avoir jamais dû subir les contraintes d’un éloignement familial ? À la fois collective et éminemment individuelle, cette problématique doit nécessairement concilier des démarches globales et la recherche de solutions ciblées issues d’acteurs locaux. Est en effet vouée à l’échec toute volonté de confronter le seul échelon national à « un contraste immense de situations ». C’est pourquoi cette extrême diversité des lieux d’affectation et des vécus demande la mise en place d’un dialogue entre acteurs locaux. Or, « ça n’est pas du tout ce qui est fait actuellement », déplore Lamy.
 
Des ressources existent mais nécessitent d’être mieux mobilisées grâce à une meilleure organisation en amont. Relais local par excellence, le préfet dispose, entre autres, d’un droit de discrétion sur l’attribution de 5% des logements sociaux présents sur le territoire départemental. Un exemple parmi d’autres de mesure éclipsée par l’absence de dialogue au niveau local. D’où cette recommandation du HCECM d’inviter les autorités politiques et militaires « à se voir les uns et les autres » afin de « pouvoir dire quels sont l’ensemble des moyens, des besoins ». Sur proposition du HCECM, les ministères des Armées et de l’Intérieur devraient bientôt s’accorder autour d’une nouvelle circulaire adressée aux préfets afin qu’ils recensent, auprès des élus et des militaires présents dans leur département « un certain nombres de besoins très variables suivant les départements et les affectations ». Selon le Haut comité, intégrer les collectivités locales au processus décisionnaire permettra de définir comment mieux valoriser les infrastructures de logement, des écoles, voire des transports au profit des militaires.
 
Enfin, miser sur l’échelon local impliquera de conférer des leviers d’action supplémentaires aux commandants d’unité pour « qu’ils puissent être dans la boucle du soutien de proximité ». Les procédures de soutien ont été complexifiées et fragilisées au point d’aboutir à la caricature du commandant totalement détaché des problématiques quotidiennes. « Quand on veut changer une ampoule, ça passe au dessus (du commandant) et personne n’est au courant », ironise Lamy.  Il faut remettre le commandant au centre des processus de soutien, notamment grâce au pôle de soutien de proximité du HCECM. Ce retour dans la boucle est déjà effectif pour un certain nombre de sujets menés en coordination avec les antennes du SCA, que sont l’amélioration de l’ordinaire, ou encore l’entretien courant. Cette nouvelle dynamique devrait pouvoir réintégrer les questions de mobilité en s’adossant à d’autres dispositifs, tels que les « Bureaux environnement humain » (BEH). Installés dans tous les régiments de l’armée de Terre et chargés de maintenir l’interface entre les soldats et leurs familles, les BEH s’appuient notamment sur une multitude d’associations locales pour accompagner les militaires et les familles avant, pendant et après le déploiement opérationnel. Mais la dissociation entre lieu de résidence et lieu d’affectation « pose des enjeux qui sont parfois difficiles à surmonter » pour des cellules manquant trop souvent de moyens humains. Appuyer ce mécanisme essentiel, car situé en première ligne face aux difficultés familiales, sera donc primordial.

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