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Kosovo : militarisation sous fond de tensions

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La semaine passée, Wess Mitchell, sous-secrétaire d’État américain aux affaires européennes et eurasiennes, a déclaré que le Kosovo avait droit à ses propres forces de sécurité professionnelles, ce qui, selon lui, ne constituait pas une menace pour la Serbie qui poursuit elle aussi sa modernisation, tandis que le président serbe soulignait qu’aucun document officiel n’accordait au Kosovo le droit de former ses forces armées. La position américaine a suscité de vives oppositions en Serbie, déjà aux prises avec les autorités kosovares, mais elle n’a pas empêché les deux pays de mener à bien leurs discussions. Les responsables serbes disent avoir besoin des États-Unis, et ceux-ci en profitent pour tenter d’éloigner Moscou des Balkans. 
 

Membres des Forces de sécurité du Kosovo (KSF) montent la garde lors d'une cérémonie à Pristina le 21 janvier 2011.  REUTERS / Hazir Reka

Membres des Forces de sécurité du Kosovo (KSF) montant la garde lors d’une cérémonie à Pristina le 21 janvier 2011. REUTERS / Hazir Reka


 
Belgrade, candidate à l’Union européenne et favorable à un renforcement des relations avec les États-Unis souhaite préserver sa neutralité militaire, en s’abstenant d’adhérer à l’OTAN ou à d’autres blocs militaires, par là elle cherche à maintenir ses relations amicales avec des pays comme la Russie et la Chine. Cette semaine le premier ministre du pays, Vučić, a d’ailleurs assuré à Vladimir Poutine que son pays n’expulserait pas les diplomates russes.
 
Pour les spécialistes de la région, cette position qui soulève des objections à Bruxelles, donnerait à Belgrade l’occasion de jouer le rôle de pont diplomatique entre les occidentaux et la Russie. Dans ce sens, la capitale serbe s’est proposée pour accueillir la rencontre Trump-Poutine. Selon l’ex-président Dacic, la Serbie aurait également tenu des pourparlers de paix confidentiels « visant à résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté » et impliquant très probablement Russes et Américains.
 
Ces « problèmes » sont les difficiles relations entretenues avec le Kosovo à majorité albanaise, Belgrade et Pristina connaissant actuellement le plus fort regain de tensions de ces dix dernières années. À la fin du mois de mars, les autorités serbes sont montées au créneau pour dénoncer la dangereuse attitude de leurs voisins. Marko Djuric, chef du bureau du gouvernement serbe au Kosovo, a été brièvement arrêté et violemment expulsé lundi dernier alors qu’il intervenait, sans l’aval de Pristina, pour discuter du projet d’Association des communes serbes qui reviendrait à accorder une autonomie territoriale à la minorité serbe.
 
Vučić a qualifié l’incident de « provocation brutale » et de « crime organisé par une bande terroriste, avec le soutien de certains pays occidentaux. » Le Kremlin a déclaré dans un communiqué que Poutine et le vice-président serbe avaient discuté de la question du Kosovo « dans le contexte de l’action provocatrice des autorités de Pristina » contre la Serbie, Dacic, demandant au chef d’État russe comment contrer la « violence et l’agression ». Les Etats-Unis ont eux-aussi condamné « les événements de Mitrovica, qui amplifient inutilement les tensions et menacent la stabilité régionale ». Selon RFI, l’incident qui alimente les craintes d’une nouvelle instabilité dans la région a mené à de violentes échauffourées entre la police et des Serbes du Nord-Kosovo : « 32 personnes ont été blessées dont huit sont dans un état grave. »
 
Quand les autorités kosovares s’opposent au projet des Serbes, qui préviennent agir par eux-mêmes si jamais rien n’est fait par Pristina d’ici le 20 avril, ceux-ci de leur côté se disent menacés par la future armée professionnelle du Kosovo, annoncée il y a maintenant quatre ans. Si à l’époque cette idée avait été contestée par l’OTAN et les États-Unis (« d’aucune aide » pour Stoltenberg, ce projet « obligerait » les États-Unis « à réévaluer » leur « assistance de longue date aux forces de sécurité du Kosovo »), par les dernières déclarations faites à ce sujet, les responsables américains interviennent maintenant en faveur de cette armée kosovare. En visite à Belgrade, le responsable américain Wess Mitchell a maintenu que cela ne constituerait pas une menace pour les Serbes et la Serbie. « Nous avons discuté des amendements constitutionnels et j’ai souligné devant le président que personne n’a le droit de veto sur la sécurité du Kosovo », a-t-il déclaré.
 
Ce revirement a été justifié par Mitchell, décrit comme un expert de l’OTAN et connu pour sa position ferme sur la Russie, par le « rôle de plus en plus destructeur » joué par Moscou dans la région, qu’il a par ailleurs accusé de répandre la désinformation dans les Balkans et d’y saper la démocratie. Le général de l’armée américaine Curtis Scaparrotti, chef des forces américaines en Europe, déclarait lui devant le Congrès américains le mois dernier que la Serbie était vulnérable à l’ingérence russe. Très remonté, le ministre de la Défense serbe, Vulin, avait alors rétorqué que « depuis 1999, il n’y avait pas de déclaration plus dure, plus irresponsable et plus dangereuse que la déclaration du général Scaparotti ». Comme le rappelle justement le gouvernement serbe, pour transformer les forces de sécurité du Kosovo en armée professionnelle – et donc de les équiper en armement adéquat – la constitution doit être modifiée, ce qui ne peut être réalisé sans le consentement des minorités serbes du Kosovo.
 
Malgré ces graves divergences, les pourparlers entre Mitchell et Vučić ont été qualifiés d’ « ouverts et très bons ». Mitchell a déclaré que les Etats-Unis soutenaient l’intégration de la Serbie à l’UE et le vice-président serbe Dacic a lui réaffirmé la poursuite des bonnes relations avec Washington : « les gens devraient être conscients que sans les Américains, nous ne pouvons pas résoudre le problème du Kosovo, ou d’un autre ».

 

La Serbie ne reconnait la région administrée par le Kosovo uniquement comme sa province historique, rejette sa sécession et a, avec l’aide de la Russie et de la Chine, bloqué les tentatives de son voisin à devenir membre de l’ONU. Sur la militarisation du Kosovo, Moscou qui continue d’équiper en armes le peuple slave et orthodoxe des Balkans, a déclaré le 15 mars dernier que « la création des forces armées du Kosovo, une structure qui ne se rapproche nullement d’une structure étatique appropriée, intensifie encore une situation déjà tendue ». 

 

Grâce à un exercice militaire d’envergure, Synergy 2018, qui s’est tenu au cours de cette dernière semaine, les Serbes ont profité d’une occasion rêvée pour montrer les muscles. Au milieu des chars d’assaut, des véhicules de combat M80A, des hélicoptères Mi-8 et des Mig-29 tirant à balles réelles sur des positions « d’insurgés », le président a déclaré « Nous prévoyons d’accélérer la modernisation d’autres équipements. Nous sommes un petit pays, nous ne sommes pas dans des blocs militaires, nous voulons préserver notre souveraineté. Si nous le voulons, nous devons avoir une armée forte, et c’est pourquoi nous continuerons à investir dans notre armée ».  
 
Le budget militaire qui atteint 70,5 milliards de dinars (595M€) cette année, soit 23,6% de plus qu’en 2017, devra soutenir l’effort de modernisation d’un armement soviétique quasi-obsolète. « Nous les avons retirés des dépôts, remis à neuf … et comme vous pouvez le voir, ils ont bien fonctionné » rassurait Vučić qui annonçait surtout : « Nous avons aussi discuté d’acheter plus d’hélicoptères, nous renforçons notre puissance défensive, la puissance de feu de notre armée, quand vous protégez votre neutralité militaire et la liberté du pays, alors vous devez être fort. Je sais que ces gens ont traversé une période difficile, nous manquons de fusils, de mitraillettes, mais vous verrez un soldat moderne entièrement équipé des meilleurs gilets pare-balles, qui a plusieurs paires de bottes. »
 
Outre le défi de la modernisation, les crédits alloués à la Défense serbe doivent aller aux militaires. En Serbie, de nombreux soldats font face à un niveau de vie médiocre (plus de 75% d’entre-eux auraient des salaires inférieurs à la moyenne nationale), au stress post-traumatique lié à la dernière guerre ou encore à l’absence de législation pour aider les anciens combattants. « Nous avons toujours eu de bons soldats, nous voulons en avoir plus … nous voulons qu’ils soient encore mieux entraînés », a ainsi souligné Vučić.
 
Il y a un an le président serbe insistait déjà sur la determination de son pays à exister militairement et individuellement : « aucun pays de la région n’a la force de la Serbie, aucun n’a plus d’un MiG-29 – et nous en avons 10. Nous nous mesurons à des pays beaucoup plus modernes qui sont beaucoup plus riches ». Il ajoutait « nous sommes un petit pays, nous essayons d’avoir une bonne armée (…) Nous sommes petits mais nous aimons la liberté plus que tout, nous aimons diriger notre pays, et nous sommes nous-mêmes. » Comme dit précédemment, les Serbes qui se rapprochent des États-Unis et de l’UE n’en abandonnent pas pour autant la Russie ou leur désir d’indépendance : le pays a adhéré au programme de Partenariat pour la paix de l’OTAN en 2006 et a signé en 2015 le plan d’action individuel de partenariat – plus haut niveau de coopération entre l’alliance et un pays qui ne souhaite pas s’y joindre.
 
La Russie devrait continuer à profiter de cette ambivalence serbe et des tensions avec le voisin kosovar pour assurer son influence dans la région. C’est son dernier pion, puisqu’avec l’adhésion du Monténégro l’an passé, l’OTAN contrôle de fait l’ensemble des côtes adriatiques. La mission de l’Alliance dans les Balkans, la KFOR, la plus longue qu’elle a connue en 69 ans, est cependant engagée dans une lourde réduction de ses effectifs, avec 50 000 soldats en 1999 elle n’en compte plus que 4 000 aujourd’hui. Espérons que la tendance n’ait pas à s’inverser.

 
 

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