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FOB Interview : Antoine d'Evry, IFRI

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Crédits: Aero3A/ASDS

Crédits: F. Aragon (Aero3A/ASDS)


FOB vous propose cette semaine l’interview du Chef de Bataillon Antoine d’Evry, officier de l’armée de terre détaché comme chercheur au sein du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD) de l’IFRI. Diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr, du Cours Supérieur d’État-major et de l’École de Guerre, il vient de publier un Focus stratégique : « Les chars, un héritage intempestif ? », téléchargeable gratuitement en cliquant ici.
 
La France n’a pas déployé de chars lourds sur les récents théâtres d’opérations. Le char de combat conserve-t-il encore un intérêt aujourd’hui ?
Si la France n’a pas engagé ses Leclerc en Afghanistan, au Mali ou encore en Centre-Afrique, c’est que ce type de capacité ne répondait pas au besoin opérationnel du moment. Le choix des moyens à projeter est essentiellement fonction du profil de la menace, de la morphologie du terrain d’engagement et de leur empreinte logistique à consentir dans la durée.
Passer à la conclusion que les chars de bataille sont devenus inutiles serait donc un raccourci irraisonné. D’une part, l’actualité nous rappelle que les politiques de puissance des États sont toujours à l’œuvre et que le « bon droit » ne pèse pas toujours très lourd dans un rapport de force. D’autre part, l’Irak et la Syrie illustrent de manière manifeste que les moyens militaires de l’adversaire dit « hybride » ne cessent de monter en gamme. La guerre n’a pas qu’un seul visage, et la Défense doit pouvoir faire face. C’est pourquoi les forces blindés/mécanisées, pour inactuelles qu’elles paraissent aujourd’hui en Europe, restent nécessaires dans cet environnement incertain.
sources: IFRI

sources: IFRI (téléchargeable sur ASDS-media.com)


 
Mais que peut le char aujourd’hui à l’heure de la puissance aérienne ?
Les forces terrestres s’intègrent systématiquement dans une manœuvre interarmées, où la composante aérienne doit au préalable s’assurer de la libre disposition du ciel, avant que soit envisagé l’engagement au sol. Des moyens de protection sol-air d’accompagnement sont d’ailleurs censés assurer une couverture complémentaire des opérations terrestres. Le char n’est donc pas seul.
En outre, la prolifération dans le monde de systèmes antiaériens performants, essentiellement russes et chinois, risque de contrarier notre suprématie aérienne dans les décennies à venir. Dans un tel contexte, si l’OTAN envisageait d’entrer en premier sur un théâtre ou qu’il faille s’opposer à une incursion terrestre sur le territoire d’un pays Allié, les forces terrestres ne pourraient pas forcément s’appuyer sur une supériorité aérienne complète et devraient alors être puissantes, mobiles et résilientes.
Sans prophétiser le retour des affrontements de haute intensité, ce type de forces – intercalées entre la dissuasion et les unités légères de l’échelon d’urgence – participent à un dispositif d’intimidation ou de réassurance stratégique qu’il serait judicieux de réinventer en Europe.
 
 
Alors que l’Europe désarme, le reste du monde réarme. En la matière, qu’en est-il du char lourd ?
C’est un fait, l’Europe désarme. Pour les chars lourds, les chiffres sont particulièrement parlant : entre 1999 et 2012, ils ont été réduits des deux tiers. Hors d’Europe, le char lourd reste une manifestation de la puissance des états et, à l’échelle du monde, le secteur du Main Battle Tank (MBT) reste dynamique. Le marché est soutenu essentiellement par la demande eurasiatique, mais aussi en provenance du Moyen-Orient, où les rivalités géopolitiques entretiennent une certaine course aux armements. La concurrence s’est notablement accrue par l’arrivée de l’industrie de défense des émergeants.
 
 
A ce propos, Nexter et KMW ont amorcé un rapprochement en vue de constituer un géant européen de l’armement terrestre. Ce mariage vous semble-t-il pertinent ? Nécessaire ?
Dans l’environnement que je viens de décrire, la recherche de synergies est essentielle pour des entreprises européennes dont le volume des séries destinées aux forces armées nationales est insuffisant pour être rentable. Le rapprochement de ces fleurons français et allemand semble être de bon augure, même si la recherche d’un juste retour économique et la crainte d’une perte d’indépendance stratégique restent souvent un frein à la coopération.
 
 
Dans une démarche prospective, quelles sont les pistes de supériorité des chars du futurs ?
La première piste est la capacité pour une plateforme – qu’elle soit lourde ou légère – à localiser, identifier et détruire un objectif, le tout sans devoir s’arrêter pour tirer. Cette aptitude à mener un combat dynamique, conjuguée aux atouts de la numérisation de l’espace de bataille (NEB), accroît considérablement le rythme de la manœuvre, et ce faisant la sûreté des équipages.
La deuxième consisterait à pouvoir s’adapter très rapidement à une menace innovante. Pour cela, détenir des matériels modulaires capables dès la conception d’intégrer des kits de protection semble une piste prometteuse qui présente l’avantage d’être plus économique et réactive que la conception continue de nouveaux engins.
Enfin, la troisième piste pourrait être l’amélioration de leur « furtivité », tout particulièrement du point de vue thermique. Réduire ou masquer la signature des chars permettrait d’éviter d’être accroché et engagé.
 
 
Antoine d’Evry, « Les chars, un héritage intempestif ? », Focus stratégique, n° 53, sept-2014. Document téléchargeable gratuitement sur le site de l’Ifri, cliquez ici.

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