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Du Serval à l’export, comment Texelis a pris le train de la défense

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De parfait anonyme, Texelis est devenu en quelques années l’un des quatre acteurs incontournables du renouvellement du segment médian de l’armée de Terre. Un « badge SCORPION » qui légitime son entrée en lice pour d’autres programmes français et annonce un nouvel élan à l’export. 

Du ferroviaire à la défense

Texelis n’a pas manqué le train de la défense. Inconnu il y a encore deux ou trois ans, ce spécialiste des solutions de mobilité est désormais bien installé dans le paysage grâce au déroulement sans anicroche du programme Serval conduit au profit des armées françaises. Un succès qui, combiné, à plusieurs expériences fructueuses passées, vient appuyer une nouvelle dynamique sur le marché export. 

L’entreprise limougeaude achevait 2023 avec un chiffre d’affaires de 112 M€, un résultat « en forte progression par rapport aux 72 M€ enregistrés en 2022 », concomitant de la montée en puissance du segment défense. L’activité restera stable en 2024 avant de partir graduellement à la hausse parallèlement à la montée en cadence de Serval et aux premiers effets de la mise sur marché de Celeris, variante exportable de la solution conçue pour le client français. « Normalement, vers 2027, nous serons pas loin de 200 M€ », prédit Jean Vandel, directeur général de Texelis et responsable de la BU défense. 

Cette trajectoire aura une incidence sur le ratio entre activités militaires et civiles. Aujourd’hui équilibré, celui-ci évoluera pour porter la part défense à près de deux-tiers du chiffre d’affaires d’ici trois ans. Les ressources humaines suivent la même courbe. De plus de 400 employés, prestataires et intérimaires, les forces vives grandissent chaque année d’une quinzaine à une vingtaine d’employés en plus, particulièrement dans des bureaux d’étude poussés par plusieurs programmes à venir sur lesquels nous reviendrons. Le gros des troupes oeuvre à Limoges, faisant de Texelis un employeur important à l’échelon régional. Caractéristique rare dans cette filière et qui n’aura pas manqué de surprendre positivement plusieurs haut gradés de passage : l’entreprise agrège à elle seule cinq métiers. « Nous développons, qualifions, fabriquons, intégrons et soutenons », énumère Jean Vandel. 

Tous les feux sont aujourd’hui au vert, mais Texelis revient de loin. Héritière d’un site consacré depuis près d’un siècle aux organes mécaniques, l’activité sera ballotée d’industriel en industriel avant de prendre son destin en main en 2009 sous sa dénomination actuelle. Les premières années d’indépendances sont difficiles mais, loin de choisir l’immobilisme, Texelis réagit en créant de nouveaux produits. Elle se rapproche ainsi de Timoney, bureau d’études britannique avec qui la relation s’avérera payante. Les ponts T700 et T900 (7 et 9 tonnes) qui en découleront permettront de prendre pied dans le marché de défense à l’export, avec quelques succès, de l’expérience engrangée et autant de liens établis avec certains systémiers comme le singapourien ST Engineering, le géant américain Lockheed Martin ou le serbe Yugoimport. A contrario, certaines épopées aux Émirats arabes unis, en Afrique du Sud et en Égypte resteront sans suite pour l’instant. 

Mais le vrai déclic découle d’un succès empoché dans un tout autre secteur, celui du ferroviaire. En 2013, Texelis décroche un marché majeur avec Siemens pour la fourniture de boggies. « Cela nous a donné un début d’expertise pour un système de mobilité complet allant au-delà des ponts et des boîtes de vitesses », pointe Jean Vandel. L’entreprise limougeaude gagne alors suffisamment en expérience pour être remarquée par Nexter (KNDS France), en recherche d’un partenaire pour fournir la mobilité complète du véhicule proposé pour répondre au marché VBMR Léger conduit au profit de l’armée de Terre. Le duo est sélectionné début 2020 par la Direction générale de l’armement (DGA). L’aventure du Serval commence. 

Le Serval, porte d’entrée de Texelis dans le programme SCORPION
(Crédits image : FOB)
L’aventure du Serval

Quatre ans suffisent au groupement momentané d’entreprises formé par Nexter et Texelis pour concevoir, qualifier et lancer la production du Serval, cet autre remplaçant d’un VAB vieillissant. Les quatre premiers exemplaires sont livrés en mai 2022. Moins de deux ans plus tard, plus de 200 véhicules ont été perçus par l’armée de Terre sur les quelque 978 attendus pour le seul programme SCORPION. Le tout sans retard ni obstacle majeur, et malgré un lancement sur fond de crise sanitaire. 

Les secrets de ce véhicule manifestement « bien né » ? D’un côté, « des choix généreux » dans la constitution des organes mécaniques dont découle une mobilité « très aimée des forces ». Au coeur de la chaîne, un moteur Cummins de 8,9 L (Euro 3) au couple particulièrement élevé pour un véhicule de 18 tonnes et adapté à un usage en haute altitude, exigence consécutive d’une prise en main par les régiments de la 27e brigade d’infanterie de montagne. La liaison au sol mobilise des éléments modernes, à commencer par des amortisseurs oléo-pneumatiques « à la fois très confortables et permettant de rouler vite en terrain accidenté ». Surtout, Texelis a redoublé d’effort pour intégrer sa chaîne cinématique sur une caisse ne laissant que peu de place, développement de trains arrières (« bras tirés ») inédits à la clef.

De l’autre, un outil industriel innovant inspiré de l’ « esprit start-up ». Une ligne d’assemblage ? Plutôt un ensemble de postes à partir desquels sont conçus les 34 kits constitutifs de la mobilité du Serval. Modulaire et évolutif, l’emprise concentre toutes les fonctions nécessaires dans un espace unique, fonctions de développement et de tests comprises. La méthode conduit peut-être à des étapes supplémentaires de préparation, mais permet de s’appuyer sur des postes simples de montages et favorise le traçage, réduisant in fine les faits techniques et de coûteuses et chronophages opérations de reprise.

Audacieuse,  la logique aura porté ses fruits lorsque, au plus fort de l’épidémie de Covid-19, il fallut dédoubler certains postes pour absorber les pics d’activité résultants des aléas d’approvisionnements. Pari gagné donc, malgré la complexité d’un kit de mobilité s’étendant du pneu au tableau de bord, soit 1.200 références à assembler contre environ 150 références pour un pont « classique ».

Un ensemble modulaire de postes plutôt qu’une ligne unidirectionnelle rigide, voilà la stratégie adoptée par Texelis pour gagner en temps et en réactivité
(Crédits image : Florent de Saint Victor/Mars Attaque)

Si une centaine de kits sortent chaque année du site limougeaud, l’approche adoptée anticipe d’emblée la hausse des cadences. En décembre dernier, une seconde tranche de 420 Serval est venue s’ajouter aux 364 déjà commandés. Deux autres tranches de 97 exemplaires sont encore programmées au titre de SCORPION, dont l’une est attendue en 2024. Viendront s’y ajouter les 1.060 véhicules acquis au travers du segment protégé « haut » du programme de « véhicule léger tactique polyvalent » (VLTP P). La production d’un premier lot de 530 unités devrait être notifié cette année. 

Résultat : dès 2026, le volume de production annuel sera porté à 200 kits de mobilité, « voire plus ». Rien d’effrayant pour les équipes de Texelis, dont les postes pour l’instant « sous-exploités » et en rythme 1×8, sont dimensionnés pour monter jusqu’à 300 ensembles par an. « Pouvons-nous produire beaucoup plus ? Oui, notre outil est prêt », explique le patron de la société qui investit environ 2 M€ par an dans son outil industriel.

Pour Texelis, le Serval est un gage de crédibilité. « Nous capitalisons désormais sur cet acquis fabuleux, qui nous a permis de nous faire connaître de beaucoup de monde », indique Jean Vandel. Grâce à la mobilité du Serval, l’entreprise a définitivement assis sa crédibilité dans un secteur concurrentiel mais, semble-t-il, davantage en recherche de solutions robustes et éprouvées. Il confère aussi la visibilité nécessaire pour continuer à investir dans la mobilité de demain et se projeter à l’export.

Plein gaz sur l’export

La société n’a pas attendu le succès du Serval pour s’attaquer au marché export et remporter des succès durables. Texelis est ainsi présent sur toutes les versions du véhicule de combat d’infanterie Terrex du singapourien ST Engineering, dans un pays connu pour son absence de compromis sur la qualité attendue et le niveau technologique recherché. « Si pour certaines versions du Terrex quelques ponts seulement ont été livrés dans le cadre du développement de prototypes, les commandes s’élèvent à plusieurs centaines de ponts pour d’autres versions entrées en production », constate le responsable. Et l’histoire se poursuit avec le Terrex s5 récemment dévoilé au dernier salon Singapore Airshow de février.

Autres succès en Serbie, via une relation durable avec Yugoimport, qui a fait de Texelis un partenaire de référence pour l’ensemble de sa gamme de blindés : Lazar, Milosh, etc. Texelis bénéficiant des succès à l’export rencontrés par cet industriel pour y placer également des équipements jusqu’en Amérique du Sud. Il en est de même dans les relations avec Sisu Auto en Finlande, constructeur finlandais du blindé Patria Pasi qui a connu un certain succès à l’export. Un blindé, qui malgré l’homonymie, n’a rien à voir avec l’autre grand industriel local du secteur, Patria.

Autant dire que le fait d’être retenu pour le Serval a été un gage de crédibilité pour Texelis à l’international. En s’appuyant sur la propriété intellectuelle des systèmes développés pour ce véhicule, Texelis  a récemment dévoilé une offre dédiée à l’export, Celeris. Pleinement modulaire selon les besoins des plateformistes intéressés, alors généralement en phase de développement de produits, une commande minimale de 10 lots sera néanmoins exigée pour des questions de rentabilité. « Certains éléments « Spécial France » sont évidemment retirés et non proposés à l’export, notamment toute la partie concernant les faisceaux électroniques, les réservoirs auto-obturants, etc. », nous précise-t-on.

Celeris a déjà connu son premier succès en Indonésie avec PT. Sentra Surya Ekajayais (SSE), un acteur privé spécialisé notamment dans les véhicules pour les forces spéciales. La livraison d’un premier lot d’une vingtaine de ponts est prévue pour aider au développement d’un véhicule 4X4 correspondant au besoin de plusieurs centaines de véhicules exprimé à ce jour dans les planifications du ministère de la Défense local. De quoi satisfaire un acteur indonésien tout heureux de ne pas dépendre d’un fournisseur russe, jusque là partenaire récurrent dans la zone dès lors qu’il s’agit de parler de mobilité.

L’export est intégré par Texelis dès le début des réflexions sur les processus d’industrialisation. Ainsi, l’organisation des chaines de montage selon une approche en kits complets (très segmentés et sans prise de pièces en vrac)  permet  de simplifier le transfert de certains pans ou de l’assemblage complet à des partenaires locaux. Et les perspectives ne manqueront pas à l’export avec des commandes fermes annoncées en 2025  en Belgique  pour plusieurs centaines de blindés  relevant d’une nouvelle étape du programme de Capacité Motorisée (CaMo), mouvement  auquel le Grand-Duché de Luxembourg pourrait venir se greffer. Des fortes marques d’intérêts sont aussi reçues depuis le Moyen-Orient ou en Europe, en Irlande par exemple.

Fruit d’un partenariat avec QinetiQ, cette solution d’hybridation intègre la boîte de vitesses, le moteur, le CTIS et les freins dans un seul ensemble compact. Au centre, un moteur électrique développant une puissance de 55 kW en usage normal et jusqu’à 100 kW en cas de pic. (Crédits image : FOB)
Un avenir bien rempli

Au-delà de futures commandes à l’export, les grands défis à relever ne manquent pas pour Texelis. Le programme Serval n’en est finalement qu’à son commencement, avec la mise en production des premières versions, et avant de nombreuses versions et sous-versions à développer et qualifier. Certaines ont des conséquences fortes sur la partie mobilité, notamment lorsque les équipements envisagés (missiles, canons, radars, mats d’observation, et autres capteurs ou senseurs) modifient le centre de gravité du véhicule. C’est par exemple le cas pour la lutte anti-drones, « sujet chaud du moment ». Les choix initiaux faits sur le véhicule permettent de faire beaucoup de choses en termes de volume et d’emport.

Ensuite, Texelis compte bien proposer son expertise sur plusieurs programmes en cours de réflexion en France. C’est le cas pour l’Engin du Génie de Combat (EGC) pour lequel un consortium a été créé avec Nexter (KNDS France) et CNIM. L’émission d’une Request for Information (RFI) est pour bientôt, mais le cahier des charges ne serait pas encore finalisé quant aux grandes caractéristiques attendues pour ce véhicule : capacités à pousser et à tracter, vitesse attendue pour suivre les autres véhicules au combat, type de mobilité recherché, position de la cabine, etc. Pris dans les débats budgétaires, le déroulé du programme est encore assez chaotique, sans certitude de déboucher prochainement. Et ce, malgré les marques d’intérêt d’autres pays partenaires à se joindre au développement et à l’acquisition d’un un tel véhicule. Dans le domaine du génie toujours, les capacités de bréchage et de contre-minage sont également au cœur des réflexions de Texelis, notamment avec des propositions allant jusqu’à des bras de manutention particuliers adaptés au Serval.

Plus spécifiquement dans le domaine de l’innovation, 3ème axe ou cadran, du plan stratégique de Texelis après le Serval et l’export, plusieurs sujets sont actuellement au cœur des réflexions des équipes du bureau d’études dédié au domaine défense. C’est le cas pour les conséquences de l’hybridation de la propulsion. À ce titre, des discussions avancées sont en cours pour des études sur un Serval hybride, pouvant aller jusqu’à un démonstrateur dans les prochaines années. Dans le même temps, Texelis poursuit, notamment avec son partenaire QinetiQ, les travaux sur la motorisation directement intégrée dans les moyeux des essieux, permettant de vrais gains de place architecturaux. En effet, ce choix permet de retirer plusieurs organes mécaniques habituels. Des études sont aussi menées sur les algorithmes nécessaires pour calibrer cette nouvelle forme de mobilité, via la gestion des servocommandes, du crabotage, etc. « Texelis est prêt à étudier l’intérêt de tels essieux motorisés sur des programmes en cours ou en développement », souligne la société. A l’exemple du programme de véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), surtout si cela peut permettre de répondre à des problèmes de choix architecturaux notamment pour gagner en capacité d’emport.

Autre sujet d’importance pour Texelis dans les années à venir, mais à ce jour encore confidentiel, les études portant sur l’extension de la gamme des produits au 6×6 et au 8×8. Des avancées fortes sont en cours dans ce domaine et des annonces sont attendues prochainement sur la partie 8×8. La société a déjà été sélectionnée sur un nouveau programme d’un systémier de 1er rang, non dévoilé à ce stade, et planchera dessus au cours des 24 prochains mois.

Enfin, autre sujet regardé de près par Texelis, le maintien en condition opérationnelle (MCO), 4ème et dernier cadran du plan stratégique. C’est le cas évidemment pour le Serval, qui serait là aussi un défi de premier ordre pour la société en découvrant l’environnement du MCO des armées françaises. « Texelis pourra s’appuyer sur les exigences bien connues du secteur du ferroviaire, où les niveaux de prestation attendus sont particulièrement élevés. Être présent depuis des années sur la Ligne 14 du métro à Paris est un capital fort d’expérience », indique Jean Vandel.

Texelis regarde aussi la reprise du MCO des véhicules haute mobilité (VHM) de l’armée de Terre, le MCO n’étant plus assuré par BAE Systems, le constructeur d’origine de ces chenillés. Le niveau de disponibilité est au plus bas, malgré les efforts d’internalisation, et il y a dès lors urgence. D’autant plus après l’utilisation intensive de ces véhicules au Sahel pendant plusieurs mandats de l’opération Barkhane. Leur architecture n’est finalement pas si éloignée de celle des 4×4, avec un pont, un moteur au centre, un différentiel, un engrenage et des chenilles. Et ce secteur des chenillé est à son tour bien identifié par Texelis comme axe possible de diversification, en pouvant, au-delà du MCO, proposer un ensemble d’organes mécaniques.

Quelques années auront suffi pour projeter cet as de la mobilité au-devant de la scène. Si l’assise offerte par le programme SCORPION est l’un des facteurs déterminants de cette réussite, il est maintenant bien question de repousser l’horizon au-delà du seul Serval, tant en France qu’ailleurs. 

Un article co-écrit avec Florent de Saint Victor (Mars Attaque).

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